Valérie Vaubourg
Ma pratique oscille entre différents modes de réalisation.
Parallèlement à la création et l’utilisation du motif, l’objet et les pratiques textiles occupent une place importante dans ma démarche artistique. Envisageant la couture comme une solution sculpturale et comme un acte symbolique de réparation, je m’intéresse aux rituels et aux codes sociaux liés aux étoffes et aux motifs qui peuvent les orner et plus particulièrement à la charge émotionnelle et à la mémoire dont ils sont porteurs et qu’ils nous transmettent.
Une intention narrative et autobiographique transparaît parfois, lorsque je représente mes peurs et mes désirs au fil et à l’aiguille.
Je crée mes motifs en me servant de la profusion d’images déversées dans les médias, images servies par une même puissance qui nivelle le sens, qui opère une confusion entre cliché publicitaire et image de la violence. Je reproduis plastiquement ces jeux de perception en provoquant des décalages sémantiques, et des détournements de sens, le motif décoratif est utilisé, à la fois, comme citation et comme stratégie iconique.
Ainsi la vie en rose, 2004 étale de honteuses scènes de violences policières sur les murs par le moyen du délicat dessin d’une toile de Jouy, insoupçonnable trame décorative rose et blanche. L’image faite motif devient équivoque et répète à qui veut les voir les insupportables coups de matraque. Pour qui les néglige, il reste un décor charmant et désuet.
Ailleurs, c’est le camouflage militaire qui est rejoué avec des silhouettes de soldats abattus, comme pour rendre à un imprimé devenu un classique de la mode son sens véritable (Pour vivre heureux, restons cachés, 2007).
Les dentelles, quant à elles, détournent pour construire des crânes qui évoquent les vanités. Tentative de sublimation d’un crâne de lapin, de porc ou de volaille provenant de la boucherie, chaque crâne avant modelage ayant été nettoyé de sa chair ! L’opération n’a rien de délicat, elle est à la limite du dégoût aux antipodes du résultat obtenu par la dentelle.
Les dessins de grand format réalisés à l’aiguille deviennent des dentelles de papier fragile qui nous font momentanément oublier le sujet même : le pistolet. Le papier est utilisé pour ses qualités physiques, le choix des outils (le poinçon) rend le travail laborieux et pénible. Cette difficulté renvoie à la patience d’une Pénélope…
La matière de l’œuvre est le corps social et politique
Les propriétés physiques de la matière et la technique : les propriétés physiques de la matière apparaissent comme une contrainte qui conditionne toute pratique artistique. Le choix des outils et des techniques répond à ces contraintes et permet de tirer parti des qualités physiques des matériaux, des médiums et des supports.
La technique prenant à son tour une signification autre ; coudre devient geste technique ou geste symbolique, une intention, un dessein pouvant conduire à l’invention ou au perfectionnement d’une technique qui s’applique tant à la préparation du support qu’à l’exploitation d’un médium.
La technique révèle les qualités de la matière (opacité, transparence, rigidité, porosité, malléabilité, etc.) par sa mise en œuvre au service d’une intention. Ainsi la fragilité du crâne de l’animal est renforcée par l’utilisation de la dentelle choisie également pour sa transparence.
Les propriétés physiques du matériau deviennent aussi importantes que le propos lui-même qui risque d’être assimilé à l’objet du quotidien auquel il se réfère et qu’il détourne.
Les représentations du matériau et ses significations (symboliques, poétiques, technologiques, politiques…)
L'art de la tapisserie est un art chargé d’une histoire qui m’intéresse, tant il semble correspondre à mes préoccupations plastiques.
Mes installations peuvent parfois faire croire, en effet, à une connivence esthétique avec les goûts d’une certaine bourgeoisie et pour cause, l'art de la tapisserie s'étendant à l'habillement de chambres, de meubles, créant ainsi le terme et la mode de " chambres de tapisserie " a fait partie de mon système de référence. C'est aussi l'aspect décoratif et usuel de la tapisserie qui va la mener à son apogée pendant le Moyen Âge qu’il me semble opportun d’exploiter dans ma démarche.
Les enjeux de l’articulation entre art et artisanat, entre tradition et modernité
Le textile, dans son champ élargi, est un médium à même d’interroger les enjeux de l’articulation entre art et artisanat, entre tradition et modernité, comme l'Art Nouveau avait le premier aboli la distinction entre arts plastiques et arts décoratifs
Mon travail tend à interroger la distance séparant l'artisanat du grand art. Artisanat traditionnel, la broderie est depuis toujours considérée comme une activité féminine domestique, et c’est précisément cette charge symbolique qui est intéressante.
En introduisant la broderie dans la peinture, ou les motifs pervertis sur d'autres objets de notre vie quotidienne, il s’agit, à la fois, de se libérer du poids de l'histoire de l'art, comme du poids de l’histoire de la femme.
Valérie Vaubourg est née en 1970.
Elle vit et travaille à Lille.
Elle est agrégée en Arts Plastiques et titulaire d’un
DNSEP obtenu aux Beaux-Arts d’Épinal.
Elle participe à de nombreuses expositions en France, et
est accueillie à la malterie dans un atelier depuis 2002.